mardi 20 octobre 2015

DES NOUVELLES DU FRONT ! EUH, DU BLOG...

Mon éditeur me fait savoir que cette année encore, mes livres se sont bien vendus. C'est une bonne nouvelle alors que mon blog est en sommeil depuis quelques temps déjà.
Je vous rappelle qu'il est donc toujours possible de se procurer mes 4 essais auprès d'un libraire (il faut bien sûr les commander), ou dans les librairies en ligne. Je vous signale également que ces livres sont aussi disponibles en version numérique.

Ma page spéciale chez Amazon :
http://www.amazon.fr/Ren%C3%A9-Le-Gal/e/B004MRP4GC/ref=ntt_dp_epwbk_0

A la FNAC :
http://recherche.fnac.com/ia504226/Rene-Le-Gal?sl=-1.0&PageIndex=1&ItemPerPage=20&ssi=2&sso=2

Ou directement chez l'éditeur :
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=8659

jeudi 31 mai 2012

QU'EST-CE QU'UNE MALADIE GENETIQUE ?


La mucoviscidose et la myopathie de Duchenne sont deux maladies génétiques bien connues du grand public grâce, sans doute, aux efforts du Téléthon et à la médiatisation qui en résulte.

    Ces terribles maladies ne sont pas dues à des microbes, contre lesquels la médecine moderne est aujourd’hui relativement bien armée, à quelques exceptions près. Ces deux exemples permettent d’illustrer les deux grands types de maladies génétiques les plus fréquentes et qui dépendent de la localisation des gènes responsables, soit sur un chromosome ordinaire (un autosome), soit sur un chromosome sexuel (un hétérochromosome).
    L’atrophie des muscles qui handicape de plus en plus sévèrement les enfants atteints de la myopathie de Duchenne au cours de leur croissance est due à l’absence dans les cellules musculaires d’une protéine au nom barbare : la dystrophine. Cette substance indispensable au bon fonctionnement des fibres musculaires n’est pas fabriquée dans les cellules de ces enfants, car celles-ci ne disposent pas du plan de montage de cette molécule.
    Le gène qui gouverne la synthèse de la dystrophine est localisé sur le chromosome X et, à la suite d’une mutation, ce gène devient incapable d’assumer sa fonction. C’est le schéma classique de la maladie génétique.
    Il existe plusieurs types de mutations qui se traduisent par des pertes de sens des messages codés de l’ADN. Raisonnons par analogie et considérons, par exemple, le mot POMME, formé de cinq lettres. Si la première lettre du mot, « P », est remplacée par « G », le message – GOMME – n’a plus le même sens. De même, le mot PLIER peut devenir PILER par la simple inversion de deux lettres. Par suppression d’une lettre – délétion – le mot CLASSE peut donner CASSE, alors que par insertion d’une lettre supplémentaire, ce même mot peut devenir CULASSE.
    Dans le cas de la myopathie de Duchenne, la forme allélique défectueuse du gène résultant d’une mutation, est récessive et c’est pour cela que les mamans des petits myopathes ne sont pas malades. Elles n’ont fait que transmettre cet allèle impalpable. Mais hélas, comme tous les garçons, les enfants malades n’ont qu’un seul chromosome X, le deuxième chromosome sexuel – Y – ne porte pas le gène responsable de la synthèse de la dystrophine et pour son plus grand malheur, l’allèle morbide, bien que récessif, est alors seul à s’exprimer. La molécule indispensable n’est pas synthétisée ou du moins sa configuration est telle qu’elle ne peut pas remplir sa fonction, ce qui revient au même.
    Pourquoi le chromosome Y ne porte-t-il pas le gène en question ?
    La raison en est fort simple. Les chromosomes vont par paires, chacun ayant son homologue, si bien que les gènes de l’un se retrouvent exactement à la même place sur l’autre, au même locus. Mais, les chromosomes sexuels humains – les hétérochromosomes – ne sont pas réellement homologues. Le X est un véritable chromosome, à part entière si l’on peut dire, alors que le Y, beaucoup plus petit, est très différent. Il ne présente qu’un tout petit segment homologue de X. C’est la raison pour laquelle ce chromosome Y ne porte pas le gène responsable de la synthèse de la dystrophine, pas plus d’ailleurs que son allèle récessif, non fonctionnel.
    Si l’enfant est une fille, elle ne peut pas être atteinte de cette cruelle maladie. À coup sûr ? Il vous revient peut-être à l’esprit l’image tragique transmise par votre petit écran, de petites filles sur des fauteuils roulants, atteintes de cette myopathie. Elles sont très rares, mais elles existent en effet. L’explication de ce fait troublant n’est pas du ressort de cet article. Retenons simplement qu’il existe d’autres formes de myopathie et que celles-ci ne sont pas dues à un gène porté par un hétérochromosome.
    Même en ayant un garçon, un couple dont la femme porte l’allèle responsable de la maladie, peut très bien avoir un enfant parfaitement sain. La probabilité n’est en effet que de un sur deux pour que le nouveau-né soit myopathe si c’est un garçon, puisque la mère peut transmettre l’un ou l’autre de ses deux chromosomes X, celui qui porte l’allèle morbide ou celui qui porte l’allèle sain, fonctionnel ; et comme le père, en lui cédant un Y, ne lui donne aucun allèle concernant ce gène, seul l’allèle porté par le chromosome X de la mère s’exprimera chez l’enfant de sexe masculin.
    L’analyse de cet exemple, par comparaison avec les études statistiques chez les drosophiles et d’une manière plus générale, chez les animaux et les végétaux, nous amène à considérer la nécessité d’utiliser d’autres méthodes en génétique humaine. Pas question en effet d’établir des statistiques à l’intérieur d’une famille, fût-elle très nombreuse. On connaît par exemple des familles de cinq enfants dont quatre sont des filles ; on aurait l’air malin d’en conclure, par une extrapolation acrobatique, que dans une population humaine quatre-vingt pour cent des individus sont de sexe féminin. En revanche, en procédant à une véritable enquête sur la recherche d’antécédents familiaux connus, on peut construire un arbre généalogique qui est souvent très éclairant en ce qui concerne la transmission d’une tare au sein d’une famille.
    L’élaboration d’un tel arbre généalogique dans une famille à risques est une méthode précise et fiable pour déterminer, en termes de probabilité, les génotypes d’enfants à venir, c’est-à-dire la représentation des allèles du gène suspect. Comment s’y prend-on ?
    La mucoviscidose, par exemple, est la maladie héréditaire la plus fréquente en France ; elle frappe un enfant sur deux mille naissances sans distinction de sexe. Les principales manifestations cliniques de cette maladie concernent la digestion et la respiration. Une viscosité exagérée des sécrétions des glandes muqueuses finit par boucher les petits canaux pancréatiques chargés d’acheminer vers l’intestin grêle le suc pancréatique indispensable à la digestion. Il en est de même au niveau des bronches, encombrées et plus ou moins obstruées, avec risque d’infection des voies respiratoires et une perturbation progressive de l’oxygénation du sang.
    Comment peut-on savoir si l’on fait partie d’une famille à risques ?
    Tout simplement en menant une enquête minutieuse afin de savoir s’il y a ou s’il y a eu, dans chacune des deux familles du couple en désir de procréation, des personnes atteintes de cette maladie.
    Que sait-on aujourd’hui à propos de la transmission de cette maladie ?
    L’analyse de nombreux arbres généalogiques permet d’accumuler suffisamment de données pour montrer que la mucoviscidose frappe indistinctement les filles et les garçons. On peut donc en déduire que ce n’est pas une maladie liée au sexe ; ce ne sont pas les chromosomes sexuels qui portent le gène incriminé. L’analyse de ces arbres généalogiques nous révèle, de plus, que les parents d’un enfant atteint de mucoviscidose ne sont jamais malades. On en déduit évidemment que l’allèle responsable de cette maladie est forcément récessif ; le père et la mère sont tous deux porteurs de cet allèle, ils sont hétérozygotes et l’enfant malade a, malheureusement, hérité d’un chromosome de sa mère et de l’homologue de son père, tous deux porteurs de l’allèle défectueux ; terrible malchance.

    On a pu préciser par la suite – mais là, l’arbre généalogique n’est plus d’aucun secours – que le gène en question est porté par la paire de chromosomes N° 7. Depuis les années quatre-vingt-dix, ce gène, appelé CFTR, a été identifié et sa séquence a été décryptée. Il y a donc, au plan du diagnostic et de la connaissance du mécanisme chimique de la maladie, d’incontestables progrès, accomplis patiemment, grâce entre autres à l’association qui organise le Téléthon et aux recherches qu’elle finance à partir des dons des téléspectateurs.

    La réalisation d’un arbre généalogique par un généticien est la première étape d’un diagnostic prénatal dans une famille à risques. Cette étape, en cas de grossesse déclarée, peut être suivie d’une recherche de la présence de l’allèle morbide, au cours des premières semaines ; c’est une autre paire de manches.

 Maladie génétique : maladie héréditaire due à un défaut de fonctionnement d’un gène par suite d’une mutation transmise par les cellules reproductrices des géniteurs.

D'après les livres Pour comprendre la génétique - La mouche dans les petits pois. Editions L'Harmattan
L'ADN en question(s). Editions l'Harmattan

mercredi 23 mai 2012

EN QUOI CONSISTE LE CODE GENETIQUE ?


L'ADN en question(s)
Après avoir défini le support de l’hérédité, l’ADN, on peut réfléchir au problème du codage de l’information génétique. Le mystère du code génétique a été élucidé en moins de trois ans par trois chercheurs américains, M. Nirenberg, G. Khorana et R. Holley, lauréats du prix Nobel en 1968.

Ils partirent de l’hypothèse que les séquences de nucléotides constituent en elles-mêmes un système de codage. Si l’on se réfère, pour simplifier, à un seul brin de l’ADN, que nous appellerons brin codant, il est aisé de comprendre que la courte séquence ---A---T---C---C---C---, par exemple, est différente de ---A---C---T---C---C---. Il restait alors à expliquer la relation entre ce code à quatre signaux et les caractères héréditaires qui se traduisent dans les phénotypes des individus ; c’est-à-dire ce que l’on voit. On est donc amené à se poser une question simple, une de plus : qu’est-ce qu’un caractère ?

Prenons un exemple assez bien connu. La couleur de notre peau ; c’est un caractère bien visible. Or, cette couleur est déterminée par la présence dans certaines de nos cellules d’un pigment noir, la mélanine, qui résulte de la transformation induite par le soleil d’une molécule apportée par l’alimentation, la tyrosine. Mais pour que cette transformation, responsable de votre beau teint cuivré en été, ait lieu, il est nécessaire que la réaction chimique qui provoque cette transformation soit catalysée par une enzyme spécifique. Or, certains sont noirs, d’autres sont très bruns ou très blancs et d’autres enfin sont tellement blancs qu’on les qualifie d’albinos. La fabrication de la mélanine par nos mélanocytes n’est donc pas égale pour tous. C’est un caractère héréditaire, étroitement lié au fonctionnement de cette fameuse enzyme. Bien que la réalité soit un peu plus complexe, on peut se contenter de cette explication.
Les albinos ne possèdent pas cette enzyme dans leurs cellules ou du moins elle est inopérante, mal formée, mal configurée, dirait-on, comme d’un logiciel. Sa synthèse dépend d’un gène, c’est-à-dire d’un segment d’ADN, ou plus précisément d’une séquence de nucléotides. Voilà comment un gène, en contrôlant un phénotype à l’échelle moléculaire, peut influencer d’une manière plus ou moins discrète le phénotype apparent de l’individu. Ce phénotype se décline donc bien à différentes échelles : tout d’abord à l’échelle de la molécule, l’enzyme, c’est-à-dire une protéine, ensuite à l’échelle de la cellule, les cellules de la peau ou mélanocytes contenant le fameux pigment noir et enfin à l’échelle de l’organisme, le phénotype couleur de la peau dépendant de cette mélanine. C’est bien entendu ce dernier qui est le seul visible à l’œil nu.
Cependant, il est aisé de constater qu’il y a des différences importantes d’un individu à l’autre en fonction de son exposition au soleil. On peut donc en déduire que les facteurs de l’environnement – en l’occurrence les rayons UV du soleil – influencent grandement les phénotypes. N’en déplaise à certains, nous ne sommes donc pas le résultat brut de l’expression de nos gènes.

Comment cette séquence codée de nucléotides peut-elle induire la synthèse d’une enzyme, spécifique d’une réaction chimique donnée, plus ou moins indispensable à la vie ? Comment ce code à quatre lettres de l’ADN peut-il être traduit en une molécule enzymatique ?

Pour répondre à cette interrogation il est nécessaire de connaître la nature chimique de l’enzyme et sa structure moléculaire. Tout d’abord une enzyme est une protéine, et une protéine est une molécule de type polymère qui résulte de la condensation d’unités plus petites, appelées acides aminés, qui se comportent à la fois comme des acides faibles et des bases faibles. Ces acides aminés, unis entre eux par des liaisons de condensation résultant de la réaction entre la fonction acide de l’un et la fonction basique ou plus exactement amine de l’autre, forment, dans un premier temps, des longues chaînes linéaires qui peuvent ensuite s’enrouler de manière complexe et prendre alors des configurations spatiales en rapport avec leur fonction catalytique spécifique. On peut d’ores et déjà remarquer une grande similitude morphologique entre l’ADN et les protéines ; ces deux molécules ont la forme de longs filaments constitués par des enchaînements d’unités plus petites. Ressemblance morphologique mais pas structurelle. Ces acides aminés sont-ils tous semblables ? Si c’était le cas, on ne voit pas comment la séquence des nucléotides de l’ADN pourrait transmettre une quelconque information sur le caractère spécifique de la molécule de protéine. En revanche, si l’on admet qu’il existe des acides aminés différents, alors l’idée de codage prend tout son sens. Car, comme pour l’ADN, on peut remarquer, par exemple, que l’enchaînement aa1–aa2–aa2–aa2–aa2, n’est pas le même que aa2–aa2–aa1–aa2–aa2. Or, c’est précisément ce que révèle l’analyse chimique des protéines, au sein desquelles on a pu identifier et isoler avec une très grande précision vingt acides aminés différents.
Ce constat nous incite à nous poser une nouvelle question, pour le moins embarrassante. Comment une molécule codée par des séquences de quatre signaux – l’ADN – peut-elle être traduite en une autre molécule – la protéine –, également séquencée, certes, mais à partir de vingt signaux ? A priori cela ne semble pas correspondre.

Comme les chercheurs des années soixante, envisageons quelques hypothèses purement mathématiques. Si l’on admet qu’un nucléotide code pour un acide aminé, il est évident qu’en effet cela ne marche pas. L’ADN ne pourrait assembler dans ces conditions que quatre types d’acides aminés. Si on compte sur une combinaison de deux nucléotides, les choses s’améliorent grandement. En effet, une séquence d’ADN disposerait alors de 42 combinaisons possibles, soit seize en tout. Par exemple, le doublet AA pourrait coder pour l’acide aminé leucine, AT pour la valine, AC pour la glycine, etc. Les vingt acides aminés portent chacun un nom qu’il n’y a, bien sûr, aucun intérêt à retenir ; ils ne sont cités ici que pour la commodité de l’exposé. Mais, dans l’hypothèse des doublets, il y aurait encore quatre acides aminés laissés pour compte. Passons à la combinaison immédiatement supérieure, c’est-à-dire trois nucléotides codant pour un acide aminé. On a alors 43 manières, soit soixante-quatre possibilités de coder un acide aminé. Alors là, il y a pléthore, l’ADN contient beaucoup plus d’informations que nécessaire pour assembler les acides aminés d’une protéine enzymatique et c’est évidemment cette solution qu’a choisie la nature.

Imaginons la séquence suivante d’ADN faisant partie d’un gène qui coderait pour une molécule de protéine, une enzyme, par exemple :

Séquence de 4 nucléotides du gène codant pour une enzyme donnée :

----- AAA -------AAT -------ATA -------TAA ------

—phénylalanine—leucine—tyrosine—isoleucine—

Séquence d’acides aminés correspondante

On voit bien qu’à une molécule codée – l’ADN – correspond une autre molécule, la protéine, également séquencée d’une manière ordonnée. Mais alors à quoi peut bien servir ce surplus d’informations contenu dans la molécule d’ADN ?
Il existe en effet soixante-quatre triplets de nucléotides pour assembler vingt acides aminés différents seulement. Et bien, la nature est prévoyante et une petite erreur est toujours possible aux différents moments de la vie cellulaire au cours desquels l’ADN est sollicité. Lors des divisions cellulaires, par exemple, indispensables à la croissance des organismes et au renouvellement de leurs cellules, des chromatides sont synthétisées, c’est-à-dire des molécules d’ADN qui doivent être strictement conformes à la molécule d’origine qui a servi de matrice. Cette réplication de l’ADN, grâce au jeu de la complémentarité des bases (A-T d’une part et C-G de l’autre), est un processus, certes d’une très grande fiabilité, mais duquel un petit incident aléatoire – la substitution d’un nucléotide par un autre par exemple – ne peut pas être totalement exclu. On peut d’ailleurs imaginer d’autres accidents ponctuels de ce type : l’insertion ou au contraire la perte d’un nucléotide dans la séquence d’ADN. La signification du message peut en être largement affectée.
Dans le schéma précédent, nous avons vu que le triplet AAT correspondait à la leucine ; supposons que le troisième nucléotide de ce triplet – T – soit remplacé par un nucléotide à adénine (A), le code est changé et AAA gouvernera la mise en place de la phénylalanine à la place de la leucine. Du coup, la protéine synthétisée n’est plus la même, sa fonction peut être profondément modifiée, voire carrément supprimée, ce qui pourra entraîner des conséquences plus ou moins graves sur le phénotype de l’individu. On tient là l’explication très schématique, mais suffisante, de la plupart des maladies génétiques. Une telle substitution d’un nucléotide dans la séquence d’un gène est une mutation.

D'après le livre L'ADN en question(s). Editions L'Harmattan.

lundi 14 mai 2012

LA VIE AILLEURS DANS L'UNIVERS ?


La vie est-elle confinée à ce petit point, minuscule paradis, dans l’immensité désertique de l’Univers ?


Pour répondre à cette question, embarrassante et exaltante à la fois, commençons par raisonner en termes de probabilité. Des galaxies comme la voie lactée, on en compte au moins un milliard, des étoiles comme notre Soleil, plusieurs milliards de milliards. Dans ces conditions, la probabilité pour qu’il existe des planètes semblables à la Terre est donc forcément très élevée. Nous ne sommes qu’au début de cette exploration du cosmos à la recherche d’indices de vie et déjà la liste est longue des exoplanètes détectées ces dernières années. Bien qu’aucune ne semble habitable, il est légitime de s’interroger sur l’existence de la vie sur ces planètes extérieures au système solaire. Aujourd’hui, seules de très grosses planètes, gazeuses pour la plupart, sont repérables avec les moyens dont dispose la recherche astronomique mais le perfectionnement des systèmes d’observation devrait permettre d’affiner ces recherches et de découvrir des planètes plus petites et de nature rocheuse comme la Terre. Compte tenu du fait que les éléments et les molécules sont les mêmes dans tout l’Univers, il est hautement probable que des molécules prébiotiques, comparables à celles que l’on rencontre sur Terre et qui sont à l’origine de l’apparition des acides aminés, les fameuses briques du vivant, puis des molécules organiques complexes, existent sur d’autres planètes qui remplissent les conditions thermodynamiques favorables à la construction d’édifices moléculaires précurseurs des cellules vivantes. Finalement, on peut penser avec raison, que la probabilité est relativement forte que la vie existe, ou ait existé, ailleurs dans l’Univers que sur la planète bleue. Là encore, le facteur « temps » joue un rôle essentiel ; si l’on se réfère à ce qui s’est passé sur Terre en quatre milliards d’années, on peut raisonnablement envisager d’autres vies en d’autres lieux avec des durées plus longues tout en excluant, bien sûr, les premiers temps de l’Univers au cours desquels les conditions physiques n’étaient pas propices à l’apparition de molécules complexes préfigurant la vie.

Une nouvelle discipline scientifique a vu le jour pour répondre à l’attente légitime des hommes à propos de cette question de l’existence d’une vie extraterrestre : il s’agit de l’exobiologie qui s’est fixée pour objectif principal de percer le mystère des origines de la vie non plus seulement sur Terre mais dans l’Univers. Pour y parvenir les scientifiques suivent deux démarches. La première consiste à rechercher des indices sur les autres planètes du système solaire faute de mieux ; ces indices pourraient être des traces d’êtres vivants, des fossiles ou plus modestement des molécules prébiotiques. Mais cette recherche nécessite de gros moyens financiers et technologiques dans le domaine spatial et, à ce jour, aucune avancée significative n’a été enregistrée, malgré les quelques sondes qui explorent notre système solaire depuis 1976 et l’atterrissage réussi de Viking. D’autres projets sont en cours mais il faudra de la patience. La deuxième démarche, plus pragmatique et plus raisonnable, consiste à essayer de synthétiser en laboratoire les molécules fondamentales du vivant à partir de molécules carbonées très simples et d’eau. Cette chimie prébiotique, dont les premiers balbutiements remontent aux années cinquante commence à donner quelques résultats mais, là encore, la patience est de mise.

Alors que sait-on de sûr, à l’heure actuelle, de cette vie extraterrestre ? Premier témoignage à verser au dossier : celui de la nature des molécules analysées sur les différents objets célestes ayant percuté la Terre ou passant dans sa proche banlieue. Des molécules prébiotiques, des acides aminés, des bases azotées, sont présentes dans les météorites et on a même pu en détecter dans les nébuleuses et dans les comètes. Deuxième pièce à conviction : les propriétés physiques surprenantes des acides aminés qui entrent dans la composition des protéines. On connaît, en effet, deux types de molécules d’acides aminés que l’on sait aujourd’hui fabriquer en laboratoire et qui se distinguent par leur comportement vis-à-vis de la lumière : d’une manière que les chimistes trouveront sans aucun doute abusivement simplifiée, on peut dire que certains acides aminés dévient les rayons lumineux vers la droite et d’autres vers la gauche. Les synthèses obtenues en laboratoire donnent des mélanges équilibrés : il y a autant de molécules « droites » que de molécules « gauches », ce qui est conforme à ce que prévoit la chimie organique. Or, et c’est là un problème crucial concernant l’origine de ces briques du vivant, les acides aminés qui entrent dans la composition des protéines sont tous du type « gauche ». Ce constat surprenant a amené les biochimistes à considérer que la structure des molécules de bases de la vie n’a pu leur être imprimée que par un type de lumière qui n’existait pas sur Terre lors de l’apparition des premières microsphères et des cellules les plus primitives. Déjà la sélection naturelle ! Selon le scénario d’une équipe de chercheurs internationale, ces molécules auraient été formées dans l’espace avant même la formation de notre système solaire et auraient contaminé la Terre à la faveur d’impacts de comètes ou de météorites. Pour ces scientifiques, l’origine extraterrestre de ces briques du vivant ne fait aucun doute. La synthèse de molécules organiques semble être un phénomène très courant dans l’espace ; on a recensé à ce jour plus de cent types de molécules organiques comportant entre deux et treize atomes de carbone. Cependant, l’étape qui semble présenter le plus de difficultés est celle qui consiste à passer de petites molécules – les acides aminés, les nucléotides – à des édifices plus grands ; les chimistes parlent de polymérisation des monomères. Plus simplement : comment passer de la perle au collier, du maillon à la chaîne ? Ces réactions d’assemblage nécessitent des conditions très particulières et notamment la présence de certaines molécules qui vont leur servir de guide, de matrice. Les argiles semblent constituer le creuset idéal pour faciliter les rencontres entre molécules. Or, les argiles devaient être abondantes dans les milieux lagunaires de la Terre primitive ; elles sont également présentes sur le sol martien.

Une vieille théorie – la panspermie – expliquait les origines de la vie sur Terre par l’arrivée sur notre planète de formes de vie primitive qui n’auraient plus eu qu’à « se réveiller » après un long sommeil durant leur voyage sidéral à bord des météorites. Aujourd’hui on n’en est plus là, pourtant l’origine extraterrestre de la vie est largement acceptée dans les milieux scientifiques. Bien entendu, ce ne sont pas des organismes complets qui auraient ensemencé la Terre, la guerre des mondes n’a pas eu lieu, mais plutôt des molécules prébiotiques, à partir desquelles les premières cellules se seraient assemblées. De nombreuses études semblent montrer que la principale source de carbone sur Terre proviendrait des micrométéorites. Chaque année, en effet, notre planète recevrait vingt mille tonnes de ces micrométéorites riches en matières carbonées. Or, au tout début de la formation du système solaire, ce bombardement était mille à dix mille fois supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. On comprend donc que l’apport en molécules carbonées des micrométéorites est faramineux et peut-être suffisant pour alimenter la biosphère.

L’exobiologie est une science récente confrontée à des difficultés auxquelles elle ne pourra faire face qu’avec l’appui de la recherche spatiale. L’avenir est prometteur même s’il s’annonce semé d’embûches.


jeudi 3 mai 2012

UN EXTRAIT DU LIVRE "LE LABORATOIRE DU DIABLE"

   Lucien Mignard appela Aubin pour lui dire de se rendre immédiatement en salle de visioconférence. Les deux chercheurs qu’il avait contactés étaient prêts.
    Les deux lieutenants, le commissaire Dumoulin, le juge Valentini qui avait été prévenu au dernier moment, et Mignard lui-même, s’installèrent autour de la table. Le procureur Versini n’avait pu se libérer à temps. Sur le grand écran, face à eux, on pouvait voir des images en provenance du Département de Génie génétique et Biologie moléculaire de l’université de Provence, à la faculté des sciences de Marseille Saint-Charles. Lucien Mignard présenta madame Mathilde Sandretti, professeur. Puis il fit de même pour monsieur Paul David, professeur à l’université Paris 7 Diderot, département de Biologie Médecine et Santé, laboratoire de Génétique humaine. La conférence dura à peu près une heure. Les deux universitaires, dans un langage clair et précis, en utilisant des mots simples, confirmèrent dans un premier temps, les interprétations de Lucien Mignard. Ils répondirent ensuite à toutes les questions que se posaient les policiers sur le procédé de fécondation artificielle mis au point par le docteur Chaix. Ils insistèrent sur le fait que l’ICSI, l’injection intracytoplasmique de spermatozoïdes, était une méthode connue et pratiquée depuis de nombreuses années, et que l’innovation du docteur Chaix consistait seulement en la mise au point d’une technique de sélection des spermatozoïdes par chimiotactisme, c’est-à-dire, par création d’une sorte de « champ » chimique qui agissait sur les membranes cytoplasmiques des cellules et qui séparait ainsi certains gamètes parmi la multitude des autres contenus dans un échantillon donné.
    En réponse à une question de Vincent Aubert, qui s’inquiétait de la part sans cesse grandissante de la recherche appliquée par rapport à la recherche fondamentale, les deux savants approuvèrent cette remarque et déplorèrent les orientations dévastatrices des gouvernants en la matière. Depuis une vingtaine d’années, dans la plupart des universités, les budgets consacrés aux programmes de recherche fondamentale étaient réduits à peau de chagrin. Rien d’étonnant, dans ces conditions, qu’on en arrive à des excès, des dérives, dangereux pour l’avenir de l’humanité. Il fallait bien satisfaire les besoins des industries. Le professeur Mathilde Sandretti insista sur la neutralité de la science. L’utilisation qui en est faite par l’homme devrait être contrôlée démocratiquement. Elle prit l’exemple des OGM : « la science nous dit comment fabriquer des OGM, elle nous explique que l’on peut transférer des gènes d’une espèce à une autre, mais elle ne nous dit pas si c’est bien ou si c’est mal pour l’humanité, de produire des OGM. Pour l’ICSI, c’est exactement la même chose. La science nous explique comment on peut introduire le noyau d’un spermatozoïde dans le cytoplasme d’un ovocyte, elle ne nous dit pas que l’on peut ainsi créer une nouvelle population humaine en remplaçant certains gènes de ce noyau par d’autres gènes sélectionnés ou synthétisés par génie génétique. Le risque d’eugénisme, que ce soit par des méthodes de sélection plus ou moins naturelles, ou par des transferts de gènes, est lié à la folie des hommes, du moins de certains d’entre eux. »
    En réponse à une autre question, de Lucien Mignard cette fois, le professeur Paul David confirma que les séquences d’ADN insérées dans le chromosome Y des noyaux des spermatozoïdes transférés dans les ovocytes étaient bien des séquences inconnues. Il s’agissait très probablement de séquences de synthèses destinées soit à modifier l’expression d’un gène naturel de ce chromosome, soit à constituer un nouveau gène. Dans ces deux hypothèses, il pouvait apparaître nécessaire de vérifier le devenir de ces séquences et de tester l’expression du ou des gènes ainsi implantés ou modifiés. C’était vraisemblablement le mobile du crime, la cause de l’enlèvement des six garçonnets. Cette méthode – formulation d’une hypothèse, expérimentation visant à vérifier cette hypothèse, interprétation des résultats et validation ou non de ces résultats, conclusion – étant la démarche normale de tout protocole scientifique.
    Aubin demanda si les séquences en question ne pourraient pas provenir d’un ADN appartenant à un animal, à un végétal, ou même à un microbe, auquel cas on aurait très précisément affaire à des enfants OGM. Les deux scientifiques n’exclurent pas cette éventualité, mais penchèrent plutôt pour un ADN artificiel, ce qui revenait également à créer des OGM.
    À l’issue de cette visioconférence, chacun avait le sentiment d’avoir compris les enjeux de cette affaire. Aubert et Mignard, particulièrement intéressés par le discours de ces deux savants, avaient pris des notes et discutèrent longuement, confrontant les enseignements qu’ils avaient tirés l’un et l’autre de cette conférence. Aubin et le juge Valentini écoutèrent attentivement.
    En sortant de la salle, les deux flics savaient désormais ce qu’ils avaient à faire, même si, en pratique, ils avaient conscience de la difficulté de la tâche qui les attendait. Ils se doutaient bien qu’ils allaient avoir affaire à forte partie.
    – Tu avais vu juste, dit simplement Aubert en tendant la main à son collègue, dans un geste d’amitié.

Voir le blog LE NOUVEAU POLAR


jeudi 23 février 2012

LA SIXIEME CRISE

Non, non, il ne s’agit pas de ce que vous croyez. D’ailleurs, si j’avais voulu parler de la crise financière, je ne l’aurais pas qualifiée de « sixième », mais de énième.


La disparition des dinosaures entre autres espèces vivant à la fin de l’ère secondaire, il y a soixante cinq millions d’années, est corrélée à un phénomène de géodynamique interne et à une cause extraterrestre, tous deux à l’origine d’un bouleversement climatique soudain.
À cette époque, dans le golfe du Mexique, province du Yucatan, une énorme météorite d’une dizaine de kilomètres de diamètre venait de s’abattre sur notre planète. L’immense cratère d’impact de trois cents kilomètres de diamètre, encore décelable aujourd’hui, témoigne de cet événement hors du commun. Cette masse de plusieurs millions de tonnes qui a violemment heurté le sol a soulevé d’énormes quantités de matières qui ont été propulsées dans l’atmosphère.
Daté de la même époque, un autre événement, d’une ampleur également planétaire, a amplifié ce phénomène. Les trapps du Deccan, en Inde, témoignent en effet d’un épisode volcanique d’une exceptionnelle intensité. Trois millions de mètres cubes de laves basaltiques sont empilés sur deux mille quatre cents mètres d’épaisseur et s’étendent sur un million de kilomètres carrés, soit deux fois la superficie de la France. De gigantesques quantités de cendres, de gaz sulfureux et chlorés, de gaz carbonique et de vapeur d’eau sont donc venues se mêler, dans l’atmosphère, aux poussières projetées par l’impact de Chicxulub. La coïncidence fut tragique.
Après le coup de froid qui a immédiatement succédé à ce double cataclysme planétaire, la température s’est mise à augmenter par suite du renforcement de l’effet de serre. Dans un premier temps, en effet, un véritable écran, constitué par tous les matériaux projetés dans l’atmosphère, a fait obstacle aux rayons du Soleil : il faisait froid. Alors que dans un deuxième temps, le rayonnement solaire – même diminué – s’est trouvé piégé : les rayons infrarouges réfléchis par l’atmosphère furent renvoyés vers la surface terrestre, dans des proportions vraisemblablement sans commune mesure avec ce que l’on observe aujourd’hui : il faisait chaud.
Évidemment les êtres vivants ne sont pas sortis indemnes d’une telle épreuve.

Outre la disparition complète des différents groupes de grands reptiles du secondaire, d’autres espèces ont été plus ou moins touchées dans les océans et sur les continents, y compris chez les végétaux, pour lesquels la photosynthèse manqua cruellement de l’indispensable énergie lumineuse.

En revanche, certains groupes zoologiques et botaniques ont pu profiter de l’aubaine : les mammifères, confinés jusqu’alors dans des seconds rôles, vont s’épanouir et se diversifier en occupant opportunément les niches écologiques libérées par les grands reptiles disparus. À leur tour ils vont exercer une domination de plus en plus affirmée sur la planète. L’apparition de l’homme, bien plus tard, n’aurait sans doute pas pu se produire dans un monde dominé par les grands reptiles. De même l’évolution des oiseaux, apparus au Jurassique à partir d’un groupe particulier de dinosaures, est probablement liée à la disparition des reptiles volants. Dans le règne végétal, les plantes à fleurs vont s’imposer définitivement, sans pour autant supplanter complètement les autres groupes.
Après cette terrible crise vint l'apaisement, le monde vivant a changé. Il ressemble désormais de plus en plus à celui que nous connaissons aujourd’hui.
De nombreuses espèces animales et végétales furent définitivement rayées de la grande liste de l’évolution. C’est la loi de la Nature.
Mais cette crise planétaire n’est pas unique en son genre. Plusieurs causes – volcanisme de grande ampleur, inversions brutales et fréquentes du champ magnétique terrestre, variations du niveau marin, refroidissements climatiques, impacts météoritiques – ont pu être à l’origine des cinq grandes crises biologiques qui jalonnent l’histoire connue de notre planète depuis quatre cent trente-cinq millions d’années et qui se sont traduites par des extinctions massives et brutales d’espèces.
Ces causes sont évidemment naturelles : la Terre, petite boulle brûlante, n’en finit plus de se refroidir et le volcanisme, par exemple, lié à la tectonique des plaques est bel et bien indispensable à ce lent refroidissement ; qu’il s’agisse du volcanisme de point chaud ou de celui des dorsales océaniques. De même, cette planète qui nous est si chère, n’est qu’un point minuscule dans l’Univers, dans l’anonymat infini et dérisoire des innombrables corps célestes et elle est donc soumise à ces petites perturbations de la belle mécanique gravitationnelle qui peuvent modifier radicalement son climat.


Les êtres vivants de la Terre ne peuvent que subir ces changements climatiques ; ils n’ont aucun moyen de s’en protéger ou de s’y soustraire. Seul le hasard de la génétique peut leur donner les capacités adaptatives nécessaires pour survivre dans ces conditions de milieu changeantes. Il est curieux de constater que ce sont généralement les groupes les mieux adaptés à un environnement donné qui sont les premières victimes de ces évènements catastrophiques.

Mais aujourd’hui, un élément nouveau est venu perturber cette tranquille fatalité. Cet élément dérangeant, c’est vous, c’est moi, c’est l’homme.
Son activité débordante se traduit par des ruptures d’équilibre, notamment dans l’atmosphère. Les changements climatiques sont déjà perceptibles.
De nombreuses espèces disparaissent depuis quelques décennies, à tel point que certains scientifiques n’hésitent pas à évoquer une sixième crise biologique. Ces extinctions, qui ne sont, certes, pas encore massives – une espèce disparaît néanmoins toutes les vingt minutes, ce n’est pas rien – portent gravement atteinte à la biodiversité.
Est-il encore temps de mettre fin au processus de dégradation ? La responsabilité des hommes est totale. Chacun de nous doit réagir, prendre à son compte la sauvegarde de l’environnement, de manière à laisser aux générations futures, non seulement une Terre vivable, respirable, mais aussi un patrimoine biologique riche et varié, nécessaire à l’équilibre des écosystèmes et à la poursuite de l’aventure humaine.


La sixième crise a sans doute commencé. Quelles en seront les conséquences ? Saurons-nous nous montrer à la hauteur d’un tel événement ?
À nous, les citoyens de la biosphère, de faire pression sur les gouvernants de ce monde en déshérence.


dimanche 28 février 2010

LA SOCIOBIOLOGIE ET LES LOIS DU MARCHE

Sociobiologie : théorie formulée par Edward O. Wilson qui stipule que les comportements des individus n’ont pas d’autre but que d’assurer la diffusion la plus efficace possible de leurs gènes. L’influence de l’environnement dans ces comportements serait négligeable. Valable pour expliquer les comportements sociaux des insectes, elle n’a aucun intérêt en ce qui concerne l’espèce humaine.

La conception naturelle que l’on a de la vie repose sur la prééminence des êtres vivants. En affirmant cela, on a la désagréable impression de proférer une idiotie, d’enfoncer une porte ouverte ou, au mieux, de raisonner un peu à la manière des surréalistes.
Dans l’espèce humaine, ce qui compte, ce sont les populations bien sûr, mais surtout les individus. Lorsque l’on exprime cela, on ne prône pas, évidemment, la supériorité d’une société individualiste au détriment d’une conception plus solidaire et collective de l’humanité. Il s’agit plus simplement de faire référence à la conscience humaine avant l’organisation en société.
Les gènes, contrôlent les phénotypes des individus, y compris les phénotypes comportementaux, mais ils ne sont pas seuls à effectuer ce contrôle, ou du moins ils l’exercent sous influence. L’environnement au sens large – éducation, famille, société, histoire et géographie – influence aussi et très largement les phénotypes humains et en particulier les comportements.
Ceux qui postulent pour le « tout ADN » ont tort. La plupart des scientifiques adhèrent aujourd’hui à cette vision dualiste des choses. L’inné et l’acquis, débat récurrent de la biologie, sont les deux fondements indissociables des comportements humains.

La plupart des scientifiques, certes, mais pas tous. La prépondérance de l’individu est, en effet, contestée par une école de pensée qui a eu son heure de gloire en 1975 à la suite des travaux de Edward O. Wilson de l’université d’Harvard et qui conserve aujourd’hui des adeptes dans certains milieux scientifiques. Il s’agit de la sociobiologie.
Sur quoi repose cette théorie ? Quels en sont les fondements ?
Wilson pose le principe que les différents comportements d’un individu obéissent à une loi fondamentale qui est de diffuser ses propres gènes d’une façon aussi large que possible. Ainsi, par exemple, le comportement agressif qui conduit à éliminer tout rival sexuel ou encore l’altruisme qui s’applique aux membres d’une même famille portant certains gènes identiques, ne poursuivent pas d’autre but que celui de favoriser la propagation de ses gènes. En d’autres termes, un individu – animal, végétal ou même microbe – n’a strictement aucune valeur en tant que tel et n’a même pas pour fonction première, d’engendrer d’autres organismes pour assurer la pérennité de son espèce. Son seul but est de permettre la reproduction et la propagation de ses propres gènes. Un être vivant n’est donc que le véhicule de ses gènes, inventé par la nature pour « préserver et répandre ces gènes avec le moins de perturbations biochimiques possibles ».
Pour le sociobiologiste anglais Richard Dawkins, nous ne serions que des « machines à survie, des véhicules-robots aveuglément programmés pour préserver les molécules égoïstes connues sous le nom de gène ». La sélection naturelle, chère à Darwin, est, pour Wilson et ceux qui partagent ses idées, la sélection naturelle des gènes.
En fait, c’est plus sur la théorie synthétique de l’évolution que sur le darwinisme proprement dit que s’appuient Wilson et Dawkins. Cette conception évolutionniste fait appel aux mutations totalement aléatoires des gènes comme moteur des transformations des individus, sélectionnés secondairement par les facteurs de l’environnement. Pour ces évolutionnistes, cette sélection se réduit à une élimination des gènes les moins favorables à l’espèce et à la propagation des gènes les « plus aptes » à se répandre.
Le fameux problème de la justification de l’altruisme, qui avait ébranlé la conscience de Darwin, est expliqué avec une certaine cohérence, un peu glaciale, par les sociobiologistes. Pour eux, il n’y a pas de doute, l’altruisme est déterminé génétiquement et ne serait, en réalité, que la manifestation de « l’égoïsme des gènes ». «Donner sa vie pour sauver deux frères ou sœurs et huit cousins germains » n’a rien de désintéressé ; cela permet simplement de sauvegarder le patrimoine génétique du « sauveur », car il y a, en moyenne, autant de ses propres gènes chez lui que chez deux de ses frères ou sœurs et huit de ses cousins germains. C’est un simple calcul de probabilité. L’altruisme ne serait qu’une question de rentabilité génétique ; cela fait froid dans le dos.
Ce qui a ébranlé la perspicacité des scientifiques c’est que cette sociobiologie s’applique à la perfection pour expliquer les comportements des animaux et notamment des insectes sociaux tels que les abeilles par exemple. Chez ces insectes, les comportements sont en effet très largement, pour ne pas dire entièrement, conditionnés par les gènes. Par exemple l’entraide entre les membres d’une même lignée est un caractère phénotypique qui a été favorisé par la sélection naturelle et qui a pour résultat une meilleure propagation des gènes de cette lignée. C’est pour cela que les ouvrières s’occupent avec dévouement des œufs de la reine et n’ont aucun intérêt « génétique » à s’accoupler avec des mâles. Elles ont plus de gènes en commun entre elles qu’elles n’en auraient avec leurs descendants. Mais ce qui en résulte finalement, ce qui est visible objectivement, c’est bel et bien un fonctionnement harmonieux de la ruche. Où est la vérité ? Est-elle dans les gènes ou dans la ruche ?
Néanmoins, il faut bien le reconnaître, l’interprétation sociobiologique du comportement des abeilles n’a rien de choquant. Cependant, ce qui est vrai pour les abeilles l’est déjà beaucoup moins lorsqu’on étudie les comportements des animaux supérieurs et ne l’est carrément plus du tout dans le cas des comportements humains.
Il y a donc de quoi être perplexe face à cette théorie car elle repose bien sur une base solidement argumentée. C’est seulement sa généralisation, abusive, qui pose problème. Ce qui est vrai chez les insectes sociaux ne l’est absolument pas chez les humains et il y aurait donc un grave danger à vouloir appliquer ces principes aux sociétés humaines. On imagine sans peine qu’il n’y a pas loin de la sociobiologie humaine à l’eugénisme.
L’ADN a fait perdre la tête à bien des savants. Fort heureusement, toutes ces théories sulfureuses n’ont pas réussi à s’imposer. Elles n’ont pas encore trouvé les champs d’application sociopolitiques qui pourraient faire du « tout-ADN » une tyrannie moderne cautionnée par l’aura de la science.
Pourtant, les tentatives pour y parvenir ne manquent pas. Il est curieux de constater que, de plus en plus fréquemment, on tend à substituer la revendication de l’autonomie dans nos sociétés à celle de liberté. Pourtant, ces deux notions ne sont pas équivalentes, elles n’ont pas le même sens. L’autonomie, qui désigne une non-dépendance vis-à-vis d’autrui, n’implique pas que l’individu autonome soit libre. Alors s’agit-il d’un abus de langage, d’une simple approximation sémantique ou plutôt d’un choix délibéré destiné à transmettre un message subliminal ? Ce mot fait partie du dictionnaire de la « novlangue » que dénoncent certains. Il participe de la dictature de la pensée unique.
Or, la sociobiologie, déterministe à souhait, rejoint, d’une manière peut-être fortuite mais bien réelle, la pensée libérale.
La liberté pour les financiers, la liberté pour les plus forts, l’autonomie pour les institutions publiques à la seule fin qu’elles échappent au pouvoir régulateur de l’état. Le libéralisme économique serait l’inévitable et ultime aboutissement de mécanismes génétiques implacables, conduisant à l’avènement d’Homo economicus.
Le philosophe et économiste écossais Adam Smith, au 18e siècle, dans son ouvrage La richesse des nations, affirmait déjà que les lois du marché associées au caractère égoïste des agents économiques conduisent à un résultat inattendu : l’harmonie sociale. Comme les abeilles, dont les comportements individuels « égoïstes » sont peu efficaces pour assurer leur survie alors que la division du travail dans la ruche permet cette vie harmonieuse, la « main invisible » du marché coordonne les actions des individus et les rend complémentaires.
Avant ce précurseur du libéralisme économique, le philosophe et médecin hollandais Bernard de Mandeville avait déjà suggéré, en 1705, que l’économie pouvait être réglée par des mécanismes amoraux : « les vices privés », c’est-à-dire la consommation de richesses, se révèlent être des « vertus collectives », susceptibles de stimuler l’activité économique et donc le bien-être du plus grand nombre. La main invisible d’Adam Smith serait-elle guidée par les gènes ? Les sociobiologistes ne sont pas loin de le penser.

Extrait de "L'ADN en question(s)" Editions L'Harmattan.