lundi 28 janvier 2008

LA VIE ARTIFICIELLE. C'EST POUR BIENTOT !

Saura-t-on, un jour, fabriquer de l’ADN ?


Si l’ADN est bien la molécule la plus caractéristique et la plus essentielle du vivant, la tentation est grande, évidemment, de fabriquer de l’ADN artificiel. Les récits de science fiction ont fait la part belle à des personnages créés de toutes pièces par des savants fous : des robots, des êtres humains « bioniques », qui finissent, tôt ou tard, par échapper au contrôle de leurs maîtres humains. Mais, comme souvent dans le domaine des sciences, la réalité rattrape la fiction et la dépasse parfois. Créer une vie artificielle est passé du mythe au possible. En 2003, un généticien américain, Craig Venter, réussissait pour la première fois la synthèse d’un virus artificiel dont l’ADN était constitué de cinq mille trois cent paires de nucléotides à peu près, ce qui est évidemment très peu par comparaison à l’ADN humain, mais c’est néanmoins une fantastique avancée technologique. Certes, on pourra toujours objecter qu’un virus n’est pas à proprement parler un être vivant et que cet exploit scientifique doit être confirmé à une autre échelle du vivant. Ce fut le cas en 2007. Une équipe de chercheurs dirigée par ce même Craig Venter a réussi à réaliser la synthèse de l’ADN entier d’une bactérie, c'est-à-dire d’une véritable cellule vivante. Le but poursuivi par ce généticien est la création d’une bactérie artificielle, qui répondra au doux nom de Mycoplasma laboratorium, pour en faire une « usine biochimique » capable de produire de l’éthanol ou de l’hydrogène.
Par comparaison avec l’ADN viral, l’ADN de la bactérie qui a servi de modèle comprend plus de cinq cent quatre vingt mille paires de nucléotides. Bien qu’il s’agisse là encore d’un génome extrêmement simple, on imagine sans peine que la construction d’un tel édifice moléculaire qui est formé d’à peu près quarante millions d’atomes de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote et de phosphore, est une toute autre affaire, un véritable exploit technique.
Mais que faire de cet ADN ? Dans une éprouvette il ne sert évidemment à rien. Pour qu’il puisse s’exprimer, c’est-à-dire gouverner la synthèse de protéines utilisables par l’industrie chimique, il faut qu’il soit intégré à l’intérieur d’une bactérie ou plus exactement dans l’enveloppe presque vide de cette cellule et ceci n’est pas simple à réaliser. Cependant, Venter et ses collaborateurs ont réussi à transplanter le génome entier d’une bactérie dans une de ses cousines. C’est un premier pas, sans doute décisif, avant l’introduction du fameux génome synthétique.
Malgré quelques difficultés techniques qui restent à résoudre, l’expression d’un génome entièrement artificiel est donc parfaitement réalisable chez des cellules rudimentaires telles que les bactéries. Il y a fort à parier que la cellule bactérienne contenant cet ADN synthétique verra le jour avant quatre ou cinq ans.
Faut-il se réjouir ou, au contraire, s’inquiéter de ces prouesses technologiques ? Les deux évidemment. On ne peut être qu’émerveillé en effet devant tant d’intelligence et de savoir faire. On ne peut que se réjouir des espoirs suscités par les possibilités offertes par ces nouvelles techniques de production de molécules qui pourront peut-être contribuer à diminuer les pollutions, apporter des solutions aux problèmes de pénuries énergétiques, soigner des malades atteints de pathologies graves. Mais en même temps on ne peut que s’inquiéter du risque de voir « fabriquer » un jour des agents pathogènes à des fins terroristes par exemple. Antoine Danchin, directeur du département génomes et génétique de l’Institut Pasteur, a exprimé des craintes argumentées concernant le séquençage rendu public du virus de la variole éradiqué depuis 1977 grâce à la vaccination. La synthèse du génome de ce virus mortel qui comprend quelques cent quatre-vingt mille paires de nucléotides est désormais envisageable et c’est une lourde menace pour l’humanité.
Bien entendu tous ces chercheurs talentueux ne sont pas prêts à laisser leurs découvertes aux mains de dangereux individus aux projets exterminateurs. Craig Venter a d’ailleurs créé un groupe de réflexion sur ces questions éthiques qui a déjà publié un rapport sur « la gouvernance de la génomique synthétique » visant à contrôler les activités des laboratoires spécialisés dans ces recherches et dans leurs applications.
Le monde dans lequel nous vivons est porteur d’espoir et de craintes. C’est à nous, les hommes, les citoyens, de maintenir nos consciences en éveil pour éviter le chaos. Les enseignements de l’histoire nous ont appris que les découvertes scientifiques peuvent être tragiquement détournées à des fins destructrices ; le souvenir d’Hiroshima et de Nagasaki en atteste. Prudence et vigilance !

2 commentaires:

Julien BEOLETTO a dit…

Grande prouesse scientifique cette construction d'un chromosome bactérien.

Par ailleurs, on savait déjà synthétiser des petits plasmides pour effectuer le clonage de fragments d'ADN notamment.

Bref cela donne de l'espoir aux étudiants qui font des sciences de la vie :) Et comme vous le dites : espoirs et méfiances !

RL a dit…

Merci Julien pour tous ces commentaires pertinents. Je te reconnait là : esprit critique, finesse d'analyse et réflexion.
Bravo ! J'espère te lire encore longtemps sur ce blog.